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De quel Druidisme parlons-nous ?

Article de BELENERTOS  paru dans le numéro 48 de la revue Message du Groupe Druidique des Gaules

 

Vers - 800, les Celtes apparaissent en Europe centrale en tant que culture. Ils se définissent plus en fonction de critères culturels que raciaux. C’est un point important car certains celtisants contemporains mélangent l’histoire à des idéologies racistes. Ne voulant pas figer leur doctrine philosophique sous la forme de dogmes religieux, les Druides n’ont pas voulu transmettre par écrit leurs connaissances et leur Tradition. On ne peut donc malheureusement pas trouver de témoignages directs. Il y a par contre, quelques récits de voyageurs grecs ou romains ainsi que tous les témoignages matériels que nous dévoilent peu à peu l’archéologie. Même si nous ne comprenons pas la totalité du symbolisme religieux des objets retrouvés, ils constituent autant de jalons qui nous permettent de vérifier (ou d’écarter) les hypothèses que nous pouvons élaborer aujourd’hui.

Il y a enfin les transcriptions médiévales des mythologies, fêtes et légendes historiques, en sachant bien que tout ce qui est parvenu jusqu’à nous est passé par la censure des moines chrétiens qui ne se sont pas privés de rogner, modifier et trafiquer pendant près de 1 500 ans tout ce qui pouvait choquer leur vision monothéiste et puritaine du sacré.

De plus, les religions celtiques ne sont pas les mêmes suivant les régions et l’époque considérée :

- avant et après la conquête romaine,

- avant et après la christianisation, si tant est que l’on puisse encore parler de Druidisme au Moyen Age.

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Le Druidisme, avant et après la conquête romaine

A l’époque archaïque (vers - 700), les sacrifices sanglants sont fréquents (humains ou animaux), mais ils s’adoucissent progressivement avec l’évolution des moeurs et aussi sous l’influence modératrice des Druides. Ainsi leur nombre diminue et, à la veille de la conquête de César, seuls quelques rares condamnés à mort sont sacrifiés aux Dieux. N’oublions pas que certains Druides sont à la fois prêtres et magistrats. Cf. Message numéro 42, Nouvelle approche des religions celtiques de Belenertos. Mais, là encore la situation est très contrastée d’un sanctuaire à l’autre (Glanon par rapport à Roquepertuse pour les Salyens) ou d’une tribu à une autre : Arvernes et Belges sont plutôt ''traditionalistes'' par rapport aux Allobroges ou aux Eduens plus hellénisés et/ou romanisés (tout du moins au niveau de leurs élites dirigeantes.

Avant la conquête romaine, on ne trouve aucune représentation matérielle de Divinité proprement dite, ce ne sera qu’après qu’elles apparaîtront. Cette matérialisation du sentiment religieux est peut-être liée à la disparition (ou à l’occultation) des Druides, philosophes et théoriciens de la doctrine druidique.

Mais l’absence de représentation divine sous forme humaine ne signifie pas l’absence de support matériel aux cultes païens. Des hommes ont été élevés au rang de demi-Dieux (rois, mages ou héros) et servent d’intermédiaires entre le monde des hommes et celui des Divinités. On trouve aussi des symboles abstraits (roues, esses, pour figurer le Dieu du tonnerre et de l’orage) ou des éléments naturels comme des rochers, arbres, sources, rivières, sommets de montagnes... Ces Divinités évolueront à l’époque gallo-romaine vers des représentations ''à la grecque'', c’est à dire sous la forme d’athlètes nus parfois drapés d’une toge aux plis savants comme ce Sucellos (cf. illustration) ou ce Taranis (idem). Ce Dieu du ciel, sera, lui, souvent comparé à Jupiter à cause de ses ''esses'' qui sont assimilés au foudre du Dieu romain.

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Un peu de mythologie celtique...

Chez les Celtes il n’y avait ni dogme, ni religion unique à visée universelle, chacun était libre d’interpréter à sa guise les reflets du monde divin, de prier suivant les choix de son coeur l’une des innombrables Divinités du panthéon celtique ou pré-celtique, voire même dans certains cas, de se contenter d’une vision théiste, faute de preuves vérifiables de l’existence des manifestations divines.

En arrivant en Gaule, les Celtes avaient trouvé des cultes datant de la préhistoire ou de l’âge du bronze parmi les populations autochtones, ces Divinités seront intégrées dans le panthéon celtique à l’image du Dieu cornu Cernunnos ou de la Grande Déesse. Il n’y a donc pas eu d’affrontement et de guerre de religion comme avec des religions monothéistes. Les prêtres autochtones seront associés au pouvoir sacerdotal des Druides. Guyonvarc’h considère par exemple que les Vates (une des spécialisations fonctionnelles du Druide) trouvent leur origine dans les voyants/sorciers/magiciens des cultes mégalithiques pré-celtiques. Leur rôle a parfois été comparé à celui des chamans des sociétés sibériennes contemporaines bien que l’on ne soit pas certain que les cultes chamaniques modernes soient équivalents à ceux pratiqués à cette époque.

Il n’y avait pas de dualisme entre la Nature (considérée comme divine) et les différentes Divinités qui en font partie dans cette vision panthéiste. D’où l’absence de Dieu Créateur dans le monde celtique : en effet, il faudrait qu’une Divinité soit hors du monde et préexistante à la Nature pour qu’elle puisse la créer. L’univers était divisé en monde (céleste, terrestre et souterrain) et non monde, seules les Divinités pouvaient passer des uns aux autres, les humains étant limités, de leur vivant, au monde terrestre. Certains leur ont donné, au XIXe siècle, les noms de Keugant/Gwenved/Abred/Anwin à ces différents niveaux d’existence (il existe des variantes aussi bien orthographiques que de sens).

Les différents corps célestes (astres, satellites, planètes) sont la forme visible dans le monde matériel d’entités divines supra-humaines.

Chaque Divinité est honorée sous plusieurs formes principales (père/fils, mère/fille, trinité).

Tribann et triskell sont deux des clés (il y en a d’autres) de ces spécialisations divines, allant de l’interprétation la plus ''terre à terre'' à l’abstraction la plus philosophique.

 

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Les Divinités solaires

L’astre solaire dans son aspect matériel réchauffe la Terre de ses rayons, il s’unit à la Terre Mère dans un mariage rituel renouvelé chaque année, et fait ensuite mûrir les moissons dont le blé est vu comme le ''fils'' de leur union. Mais il y a aussi le Dieu guérisseur lié au tellurisme et aux sources thermales (Borvo, le bouillonnant > Bourboule, Bourbonne-les-Bains), autre expression du lien entre la Terre mère et le Soleil qui sera explicité par Hermès Trismegiste dans la Table d’Emeraude de la tradition païenne égypto-grecque : ''ce qui est en haut est comme ce qui est en bas'' et ''Le soleil en est le père, la lune en est la mère, le vent porté dans son ventre, la terre est sa nourrice''. Il y a encore le principe divin abstrait, transcendant, qui relève plus de la philosophie des Druides que de la religiosité populaire. Et, parallèlement à tout cela, le soleil est honoré sous son aspect père et fils : Dieu père le soir et en fin d’année il est le vieux roi sage et débonnaire, Dieu fils au lever du jour et au matin du solstice d’hiver, il est le guerrier et le champion qui rêve de gloire et déborde d’ambition.

C’est le vieux schéma des cultes néolithiques où la légitimité du roi de l’année provenait de son mariage avec la reine, incarnation de la Terre Mère. A chaque fin de cycle, chacun pouvait devenir roi après avoir vaincu et tué en duel le précédent époux de la reine. Ce rituel est expliqué et commenté dans les livres de Frazer, Le Rameau d’or. La fête royale de la Lugnasad correspond notamment à la commémoration du mariage de Lug (dont le roi est le fils spirituel en tant que roi magicien) avec la Terre mère. La fécondité de cette union sera le symbole de la fertilité de la terre et donnera l’abondance pour la tribu. Si le vieux roi n’est pas remplacé à la fin du cycle, il sera incapable d’assumer son rôle et cette impuissance amènera l’hiver éternel et la famine. C’est là une des clés du ''coup douloureux'' et de la ''Gaste terre'' de la quête du Graal que les moines chrétiens n’ont pu comprendre.

Remarques

- Dans l’antiquité il y a parfois confusion entre le Soleil et Mercure. Ce dernier est en effet difficile à observer à l’oeil nu et, de toute façon, il n’est visible que très fugitivement, après le coucher du soleil et avant son lever. Il était donc logique que les Druides astronomes présentent le Dieu Lug (Hermès grec/Mercure latin) comme le messager de Belen (Apollon) et l’expression de son principe caché, son Verbe animateur.

- Il existe un Dieu Mars ''planétaire'' dans le panthéon celtique : il s’agit de Loucetios. Il est parfois confondu avec Lug, d’autres fois avec Teutatès. Mais Loucetios ne correspond absolument pas au Mars/Arès gréco-romain. En effet le rôle de Dieu de la guerre est tenu chez les Celtes par des héros ou des Déesses. Après la conquête romaine, Teutates sera parfois assimilé au Mars gréco-romain.

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Les Divinités lunaires

Ses trois principaux aspects sont, comme pour l’astre solaire, le reflet des phases astronomiques. De plus, s’y ajoutent des correspondances avec le cycle menstruel féminin :

- Lune croissante : c’est la jeune Déesse vierge et farouche associée au printemps,

- Pleine Lune : c’est la femme féconde, sexuellement active, dont la reine (fiancée à l’occasion de Belteine et mariée à la Lugnasad) est l’archétype social,

- Lune décroissante : c’est la vieille femme dont l’aspect lune noire tend vers le maléfice (la ''triple'' Hécate des  Grecs, ce qui indique que chaque aspect de la triple Déesse peut encore se subdiviser !).

La Morrigane irlandaise est souvent décrite comme une corneille noire survolant les champs de bataille et ivre de sang et de fureur, d’où son autre nom de Bobd, ivresse (voir illustration).

Si chez les Celtes la Lune est féminine et le Soleil masculin, il y a d’autres traditions païennes (germanique, japonaise) où la polarité de ces deux astres est inversée. Reflet de cette incertitude antique, en astrologie moderne, la Lune est parfois considérée comme androgyne.

Si on admet que la Grande Déesse de la préhistoire a été peu à peu remplacée et supplantée par des Divinités masculines (à la fin du néolithique et durant l’âge du bronze, donc bien avant l’arrivée des Celtes), on peut retrouver cette évolution avec le couple Belen/Belisama dont l’étymologie (bel = brillant, étincelant) est la même et dont certaines attributions se recoupent. Il semblerait donc que le Dieu Bel ait supplanté Belisama dans son rôle d’astre principal (le soleil supplantant la lune) et que, parallèlement, Belisama aurait perdu son aspect lunaire au profit d’autres Divinités commee Sirona.

 

On pourrait procéder de même pour chacune des sept planètes de l’antiquité qui sont les matérialisations visibles d’entités divines transcendantes dans la pensée païenne comme nous l’avons déjà dit.

La même Divinité possédait de nombreux noms et représentations symboliques, dans un contexte mythologique complexe que nous ignorons dans la plupart des cas. Une des raisons pour laquelle il est difficile de comprendre aujourd’hui le sacré des religions païennes et polythéistes de nos ancêtres est que nous ne vivons plus dans une société traditionnelle. Les trois classes de la société (producteurs, protecteurs, prêtres) ne s’équilibrent plus dans une complémentarité harmonieuse à l’image des trois branches du triscèle dont la rotation donne un équilibre dynamique. Notons à ce propos que le triscèle, présent dès l’époque préhistorique, a d’autres interprétations et utilisations. De plus, vu en coupe il équivaut au Tribann...

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Un peu de philosophie...

La spiritualité païenne de l’antiquité regroupait deux principales approches philosophiques : le polythéisme et le monisme. L’expression ''les différentes formes de polythéisme et les différentes formes de monisme'' serait d’ailleurs plus appropriée, car, comme l’a montré M. Brunaux dans son livre Les religions celtiques il y avait probablement autant de formes de Druidisme que de Druides ! Le même archétype divin pouvait être compris à des niveaux différents suivant les degrés d’évolution spirituelle de. C’est aussi cela le charme des spiritualités païennes a-dogmatiques...

Prenons l’exemple du nombre abstrait et indéfinissable appelé Pi. Il peut être représenté par 3,14 ou 3,1416, ces deux chiffres finis ne sont que des approximations de ce nombre ; actuellement on a calculé par ordinateur quelques millions de décimales sans pouvoir épuiser cette suite infinie. Tout au plus, peut on considérer que 3,1416 est un peu plus proche que 3,14 de la réalité mathématiquement infinie et inconnaissable de Pi.

 

Le Polythéisme

Le monde divin s’exprime dans le monde matériel sous des formes multiples et distinctes. Suivant son évolution spirituelle on peut les honorer en tant qu’abstraction philosophique dont les attributs symboliques sont autant de clés ésotériques, ou bien adorer la représentation matérielle (statue, image). Là encore une infinité de nuances existaient entre ces deux possibilités de compréhension du même principe divin. Ainsi, un des chefs de guerre portant le nom de Brennus éclata de rire devant les statues d’Apollon qu’il trouva dans le sanctuaire grec de Delphes, elles étaient en effet incompréhensible pour un Celte de son époque qui n’avaient jamais vu des Divinités figurées sous les traits d’un homme.

 

Le Monisme

C’est la tendance (plus ou moins aboutie) à l’unicité du monde divin par delà la multiplicité de ses manifestations dans le monde matériel, humain. Mais le monisme (tout du moins dans son acception antique) ne remet pas en cause la pluralité des manifestations divines dans le monde matériel ainsi que leur validité. Le Monisme a parfois évolué vers un théisme philosophique dans le cadre d’une vision du monde où les formes visibles et matérialisées du monde divin étaient considérées comme plus proches du monde matériel que du monde spirituel.

Ces deux conceptions philophico-religieuses du monde divin ne s’opposaient pas dans l’antiquité qui, de toute manière, ignorait encore les guerres de religions issues de la volonté d’universalisme des dogmes monothéistes. L’auteur de cet article étant plus proche de la sensibilité polythéiste que celle du monisme, il serait  intéressant, pour avoir une autre opinion, de lire (ou relire) Connaissance du Druidisme et Elément de base du Druidisme, en se souvenant que M. Monard est lui plutôt moniste, bien que très tolérant vis-à-vis du polythéisme.

Le Polythéisme était fortement majoritaire dans la population comme dans la classe sacerdotale qui, seule s’intéressait aux autres possibilités de compréhension du monde divin. Il est important de noter que les fouilles archéologiques et les témoignages de l’époque ne donnent aucune trace d’un soi-disant monothéisme celtique antique qui aurait été une sorte de perversion extrémiste d’un monisme dogmatique, par contre les preuves du polythéisme sont innombrables et incontestables. Les seules formes de ''monothéisme celtique'' que l’on peut trouver se situent dans le cadre médiéval du christianisme, à une époque où le Druidisme a été étouffé ou occulté (dans une hypothèse optimiste) depuis plusieurs siècles.

 

La décadence du Druidisme antique

Rome n’a pas eu beaucoup de peine à trouver des collaborateurs zélés parmi l’aristocratie gauloise prête à toutes les compromissions pour conserver sa richesse et son luxe. Cela débouchera dans la société gallo-romaine sur une ''élite'' intellectuelle acculturée qui oubliera très souvent sa culture et sa langue pour adopter celles de ses conquérants. Cet attrait pour les culture étrangères a cependant toujours existé, même à l’époque la plus archaïque : cf. le décors gréco-etrusque du vase de Vix ou les ruines du sanctuaire celto-grec de Glanon devenu Glanum ! La décadence du Druidisme sera cependant accélérée, après la conquête romaine, par la disparition des collèges druidiques, ciment des sociétés celtiques. Le Druidisme est combattu par César, interdiction renforcée et renouvelée par l’empereur Auguste, Tibère, Claude, etc.

Pourquoi ? Tout d’abord, dans le cas de César, pour le soutien actif que la majorité des Druides ont apporté à Vercingétorix. Ensuite, parce que l’influence des Druides fait obstacle à la romanisation de la Gaule, dont de plus en plus de riches aristocrates, voire même des cités entières (comme Lyon), obtiennent la citoyenneté romaine. Or les cultes druidiques sont en principe interdits aux citoyens romains. D’où l’hostilité d’un empereur comme Claude, par ailleurs aimant la vie en Gaule et intéressé par tout ce qui touche à l’histoire et à la magie (étrusque notamment). Mais les Romains sont aussi des païens, même si leur spiritualité est souvent assez pauvre et/ou superstitieuse. En matérialistes, ils se désintéressent généralement du sentiment religieux des populations soumises. Rome tolérera donc en Gaule les cultes druidiques pratiqués plus ou moins clandestinement et elle n’interviendra que lorsque cela débouche sur des troubles à l’ordre public. Ce sera le cas lors des prises de position ''indépendantistes'', de Maric (ou Maricos) qui avait prophétisé la ruine de la ville de Rome. Il en ira de même lors la destruction du sanctuaire de l’île de Mona (Anglesey ?) qui constituait probablement un noyau de résistance à la romanisation de la Grande Bretagne.

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L’irruption des chrétiens dans le monde européen

Les Romains ont déstructuré la société celtique basée sur la tripartition et ont fait disparaître le Druide magistrat, diplomate, enseignant ou conseiller des rois, mais la pratique des cultes païens reste libre. Les Dieux gaulois continuent d’être honorés dans les mêmes sanctuaires sous des noms grecs ou romains qui correspondent (plus ou moins) aux attributs archaïques. Ainsi, Grannos (un des aspects de Belen) est adoré à Grand dans les Vosges sous le nom d’Apollon Grannos, Lug Dumias est prié au sommet du Puy de Dôme sous le nom de Mercure Domien.

Par contre, les chrétiens, eux, vont s’attaquer à l’essence même de la tradition panthéiste païenne et polythéiste en niant toute forme de spiritualité non conforme aux dogmes de leur religion unique et révélée. Leur fureur iconoclaste fanatique va donc s’attaquer à tous les temples, toutes les ''idoles'' et s’étendre à l’ensemble des formes de spiritualités païennes, publiques ou privées. La liberté de pensée religieuse va donc peu à peu disparaître, et tous les païens seront persécutés, du Druide au simple fidèle.

En Gaule, au début du IIe siècle, le christianisme ne recrute que des Grecs, Égyptiens, Syriens, etc. que l’on trouve dans certaines villes comme Lyon ou Vienne, il s’enrichira vers la fin du IIe siècle après J. C. de l’arrivée en Gaule de légionnaires romains venus d’Orient avec leurs familles. L’influence chrétienne sera cependant négligeable sur l’ensemble de la population gauloise qui reste païenne jusqu’à la conversion des élites romaines (à la fin du IVe siècle après J. C.). Cette christianisation du pouvoir central va permettre l’utilisation contre les païens de la machine de guerre impériale (armée, administration). Il ne s’agit donc nullement (nous parlons ici de la Gaule) d’une religion populaire qui touche l'ensemble d'une société en quelques années, mais d’une lente progression, étalée sur près de 500 ans, dirigée par les fonctionnaires de l’empire romain et secondée par une cinquième colonne de marchands, d’ex-esclaves et de collaborateurs opportunistes prêts à tout pour faire carrière. Les villes seront les premières touchées : destruction des temples ou transformation en églises, interdiction faite aux païens de devenir fonctionnaires puis de pratiquer un culte public.

Les campagnes avaient échappé à cette première vague de persécution. Aussi l’état romain enverra ''en mission d’évangélisation'', à partir de 371, d’anciens officiers légionnaires comme St Hilaire, St Martial ou St Martin. Ils la quadrilleront pour contraindre les populations à profaner et détruire leurs sanctuaires. Ceux qui auront le courage - ou l’inconscience - de s’y opposer seront massacrés par la troupe armée qui accompagnaient et protégeaient ces ''évangélisateurs''. Voilà pourquoi on a tant de sources, pierres et arbres dédiés à ces saints, ce sont autant d’anciens petits sanctuaires ruraux dont les ruines cachent bien des drames oubliés par l’histoire.

 

 

En 392 l’empereur Théodose interdit tous les cultes païens (privés ou public) et ferme tous les temples païens encore existant. Cet édit ne sera pas partout appliqué (certains païens sont encore influents localement !) et il sera renouvelé plusieurs fois avec une efficacité croissante, les peines encourues seront progressivement aggravées devant l’obstination des récalcitrants. Ainsi, en 772 Charlemagne, empereur très chrétien, essaye de convertir les Saxons à la ''vraie foi'' et des milliers d’entre eux, à Werden, préféreront la décapitation au baptême. En 800 ce même empereur ''très chrétien'' interdit (encore une fois) les cultes des arbres, des pierres et des fontaines, preuve qu’ils existaient toujours à cette époque. Mais, malgré tout, les païens subsistent dans la clandestinité, feignant parfois un christianisme de circonstance pour sauver leur vie. Certains pensaient que le christianisme s’épuiserait au bout de quelques dizaines ou centaines d’années et qu’ils pourraient alors sortir de leur clandestinité. Aucun ne pouvait imaginer que la longue nuit des libertés religieuses durerait près de 1 500 ans...

Il est difficile de définir la date exacte où le Druidisme antique à disparu. Certains donnent la date de la conquête romaine car, selon Guyonvarc’h, la classe sacerdotale druidique ne peut exister en dehors d’une société celtique traditionnelle. D’autres préfèrent le IVe siècle avec l’interdiction des cultes païens car on peut supposer que quelques collèges druidiques ont pu subsister dans une semi-clandestinité. Si l’on se réfère à l’Irlande on peut aller jusqu’au Ve/VIe siècle, époque ou St Patrick et ses successeur réussissent à éliminer l’influence des derniers Druides. Bien évidemment, certains groupes de sensibilité chrétienne continuent à croire que St Patrick, St Colomba ou même St Bernard sont des Druides. Ils revendiquent donc dans ce cadre une filiation initiatique (sans problème de continuité historique comme pour les groupes païens !) par l’intermédiaire de différents ordres monastiques. Nous y reviendront plus loin.

 

Le cas particulier de l’Irlande

Dans cette île le Druidisme perdurera jusqu’à l’arrivée de St Patrick qui s’opposera aux Druides locaux, la conversion du roi entraînera celle de l’ensemble de l'île. Les Bardes continueront pendant encore quelque temps à défendre la culture païenne mais finiront eux aussi à être christianisés. Au IXe/Xe siècle les rois d’Irlande ont encore des ''Druides'' ou des ''Bardes'' à leur côté mais ces titres ne recouvrent plus depuis longtemps aucune réalité païenne, ce ne sont que des titres honorifiques et nobiliaires que portent de bons chrétiens. Sur cette ambiguïté entre culture celtique et religion druidique apparaîtra, avec Saint Colomba, une église celtique irlandaise qui comptera des évêques/Druides dans la lignée de Saint Patrick. Cette église celtique sera considérée comme hérétique par Rome non pas du fait de leur paganisme (ce sont tous des monothéistes !) mais parce qu’une de leur principale revendication est le refus de l’autorité de l’évêque de Rome. Cette opposition évêques anglo-saxons/évêque de Rome donnera naissance au christianisme celtique qui développera quelques variantes doctrinales sur le thème monothéiste et l’agrémentera de quelques légendes mal comprises volées à la tradition celtique antique.

C’est dans ce contexte médiéval que l’on trouve les interprétations monothéistes les plus anciennes de la Tradition celtique. Contexte qui n’est d’ailleurs pas dénué d’arrières pensées géopolitiques car, à cette époque, la Geste arthurienne servait les intérêts de la cour d’Angleterre des Plantagenets alors que la Bretagne hésitait entre la suzeraineté anglaise et française (elle aurait certainement préféré conserver son indépendance mais ses puissants voisins ne l’entendaient pas ainsi !).

Le néo-Druidisme est malheureusement souvent parti de ces textes tardifs et christianisés pour en conclure que le Druidisme était proche du catholicisme. Cette erreur pouvait encore se comprendre au XVIII°/XIX° siècle, car l’histoire, la linguistique et l’archéologie n’apportaient pas, comme aujourd’hui, les preuves irréfutables du caractère polythéiste et panthéiste des cultes antiques. De plus il était encore dangereux au siècle dernier (1) d’afficher ouvertement sa rupture avec l’idéologie religieuse officielle. D’où les innombrables concessions et atermoiements qui pouvaient, à l’époque, si ce n’est s’excuser, du moins se comprendre... Une des rares Triades attestées dans l’antiquité déclare qu’il faut ''Honorer les Dieux, être courageux, ne rien faire de déshonorant''. Comment honorer ''les Dieux'' si l’on adore un Dieu unique ?

Certains chrétiens impénitents ont essayé de contourner la difficulté en supposant (sans preuves !) que les Druides honorait un dieu unique dans le secret de leurs collèges (l’Incréé ?), mais qu’ils laissaient le peuple croire au polythéisme. C’est oublier les preuves innombrables de la participation des Druides aux cultes polythéistes en tant que sacrificateurs par exemple. De plus on imagine mal un Druide mentir ainsi à son entourage et cautionner de son autorité morale et spirituelle des cultes auquel il ne croirait pas lui-même. Ne serait-ce pas se déshonorer que d’agir ainsi ? Le mensonge était le pire des crimes pour un Druide...

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La tradition galloise

Beaucoup de groupes contemporains s’inspirent aussi de rituels gallois du siècle dernier, malheureusement fortement inspirés, eux-aussi par la pensée monothéiste. Iolo Morganwg, un des restaurateurs du néo-Druidisme gallois, a fondé la première Gorsedd en 1792. Il est difficile de dire si son désir était simplement de relancer la poésie galloise ou s’il avait aussi des intentions spiritualistes. Intentions qui, si elles ont existé, ont été détournées ou récupérées par son entourage et ses successeurs. Ces Gorsedds sont donc aujourd’hui essentiellement des concours de chants et de poésies, basés sur la culture régionaliste. Ce travail énorme et précieux a permis de préserver les traditions folkloriques et les parler régionaux (ou de ralentir le déclin si l’on est pessimiste). Malheureusement, l’aspect indiscutablement païen de la Tradition celtique antique est quasiment inexistant. Cela se comprend très bien lorsque l’on sait que des prêtres anglicans (nous sommes en Cornouailles ou au pays de Galles) participent aux Gorsedd. Il est bien évident qu’ils bloqueront toute possibilité d’ouverture à la spiritualité païenne de l’antiquité tant qu’ils seront présents dans ces associations.

 

La tradition franc maçonne anglaise

En 1717 des libres penseurs, dont le plus connu est John Tolland, décident de re-fonder une forme de Druidisme d’ordre philosophique. De cette lignée proviennent notamment le Druid Order et l’Order of Bards, Ovates and Druids. Dans ce même milieu, Henri Hurle fonde en 1781 une filiation druidique mutualiste, qui créera des caisses de solidarité entre ouvriers. On retrouve maintenant des Loges de ces deux filiations aux quatre coins du monde. Si ces groupes revendiquent une tradition druidique, leur ''paganisme'' se résume le plus souvent à un rejet des dogmatismes du catholicisme mais pas de la doctrine monothéiste elle même. Leur but est plutôt une rénovation du monothéisme pour l’adapter au monde moderne. Rénovation qui s’appuie sur le Monisme auquel ils donnent abusivement une interprétation ''pré-monothéiste''. Dans ce cadre, le Grand Architecte de l’univers est parfois assimilé à l’Incréé. Bien évidemment il ne faut pas généraliser car il y a de nombreuses Loges et obédiences différentes, si toutes ne s’intéressent pas au Druidisme, il n'est pas impossible qu’il existe aussi des Francs Maçons véritablement païens et polythéistes.

 

Les dérives politiques

Des sympathisants de mouvements politiques, généralement d’extrême droite, cherchent régulièrement à exploiter la vitalité et la popularité de la culture et de la spiritualité celto-druidique. Ils confondent généralement Celtes, Aryens et Indo-Européens dans leur même interprétation raciste. Alors que ces termes ne sont pas basés sur des critères raciaux mais sur des coutumes sociales ou religieuses, la langue et des zones d’influences géographiques. Ainsi le ''peuple des champs d’urnes'' (un des ancêtres possible des Indo-Européens) est ainsi appelé par les archéologues d’après un mode de sépulture. On peut remarquer que ces ''païens politiques'' se disent plus souvent intéressés par les croyances odinistes (du Dieu germanique Odin) que druidiques, les Gaulois étant dans leur idéologie fantasmatique moins ''purs'' racialement que les Germains.

Des prétendus ''Odinistes'' ont dernièrement célébré avec les catholiques intégristes la commémoration du baptême de Clovis. Cela peut encore se pardonner chez des personnes ignorant tout de leur histoire, pas chez des universitaires ou des professeurs d’histoire. Ces païens de circonstance ont ainsi outragé à la fois la mémoire des Saxons (qui préférèrent à Werden la mort au baptême de Charlemagne) et les véritables Odinistes (il y en a ...), ils ont aussi démontré leur peu de spiritualité celtique, alors que des Hindouistes, chamanistes ou animistes d’origine non-européenne, sont plus fidèles qu’eux à cette Tradition.

 

Les groupes ésotériques

Certains groupes Rose croix, spirites (Allan Kardec se disait la réincarnation d’un Druide) ou anthroposophes, revendiquent parfois une filiation druidique en s’appuyant par exemple sur des liens avec la Golden Dawn anglo-saxonne. A quelques rares exceptions près, ils s’intéressent plus aux aspects ésotériques de la culture celtique qu’à la nature païenne de la religion druidique. Beaucoup ignorent la spiritualité païenne et polythéiste du Druidisme antique pour ne se référer qu’au christianisme celtique médiéval.

 

Remarque (valable aussi pour les autres )

Cet article parle ici des grandes lignes directrices de ces associations, et non des positions individuelles de certains de leurs membres qui sont heureusement parfois - en privé - beaucoup plus nuancées !

 

Les groupes se rattachant à la spiritualité celtique païenne de l’antiquité

Ils sont malheureusement rares et le plus souvent très discrets. On distingue généralement deux principaux courants, wicca et celtiques. Rappelons à ce propos qu’il n’y a pas eu de conflit dans l’antiquité entre religions pré-celtiques et Druidisme, d’où parfois le mélange de ces deux lignées traditionnelles.

 

La mouvance wicca

Ce courant multipforme se veut la résurgence du chamanisme préhistorique par le biais de la sorcellerie médiévale. Elle est donc le plus souvent très anti-chrétienne du fait des massacres, tortures et persécutions de l’Inquisition. Mais, à côté de la Wicca celtique (parfois aussi appelée occidentale), il existe d’autres courants issus de traditions amérindienne, cabaliste, égyptienne, etc. qui sont parfois (pas toujours, car les chrétiens ont aussi sévi hors d’Europe) plus tolérants avec les idéologies monothéistes. En France, il s’agit le plus souvent d’individus isolés, de quelques amis ou d’une famille. Remarquons au passage que cette dispersion leur a permis de survivre aux persécutions chrétiennes, alors que les Collèges druidiques disparaissaient corps et biens. Les quelques groupes wiccas actuels ont été tellement matraqués par la presse à scandale, que cela a fait disparaître toute la partie visible de l’iceberg : un peu comme au Moyen Age avec les persécutions de l’Inquisition... Du coup, le rôle de la Pagan Federation anglo-saxonne (qui est assez bien implantée en France, nous en reparlerons dans un prochain article) tend à devenir prépondérant.

 

Les Druidisants

Ils sont eux-aussi peu nombreux et mal organisés, rares sont les Groupes qui affichent officiellement leur caractère païen et polythéiste et qui échappent à l’écueil  politique. Plusieurs groupes sont actuellement en train d’évoluer vers un paganisme plus net sous l’influence des travaux d’historiens et d’archéologues remettant en question beaucoup des dogmes des celtomanes du siècle dernier. Il faut encore noter que les groupes néo-chrétiens et/ou politiques sont bien implantés car ils existent depuis longtemps et bénéficient de réseaux d’influence et de propagande. Et, bien sûr, ils font tout pour contrer l’arrivée de nouveaux venus qui ont l’insolence de dévoiler les mensonges de leurs filiations et de leurs bases doctrinales... Nouveaux venus qui sont d’ailleurs souvent vulnérables car ce sont presque toujours des bénévoles disposant de peu de temps et d’argent et dont l’amateurisme les expose à tous les pièges et provocations grossières. Notre société actuelle, majoritairement chrétienne et/ou matérialiste, confond secte et spiritualité : elle a ainsi souvent ''brisé'' des initiatives intéressantes qui n’avait rien de commercial ou de sectaire !

Mais, malgré tous ces obstacles à franchir, une fraction de tous ceux qui s’intéressent au monde celtique finissent par aboutir à la question fondamentale : quelles étaient les croyances philosophiques et religieuses des Celtes et pourquoi ont-elles disparues. Leurs quête de leurs racines celtiques les amène donc, s’ils sont logique avec l’histoire, à rejeter toutes les idéologies (2) qui ont cherché à faire disparaître le Druidisme antique. Certains voient dans cette - lente - prise de conscience tant culturelle que spirituelle le retour des Dieux annoncé par un des derniers oracles de Delphes : ''un jour Apollon reviendra et ce sera pour toujours''...

 

En conclusion, la spiritualité celtique antique est incompatible avec la plupart des dogmes monothéistes : unicité divine, dualité bien/mal, création divine de la Nature, mépris et négation de la féminité (humaine ou divine), infaillibilité papale, vision de l’Au-delà, réincarnation, asservissement des animaux à l’homme créé à l’image de Dieu, etc. Historiquement, les différentes Eglises ont systématiquement persécuté les païens (druidisants ou autres) dès qu’elles ont disposé de l’appui du pouvoir temporel (l’union du sabre et du goupillon). A partir de ces constatations historiques difficilement discutables chacun réagit selon son tempérament. Il y a ceux qui jouent la politique de l’autruche et refusent l’évidence, ceux qui regrettent le passé mais ne font rien de concret dans le présent et enfin ceux qui, de plus en plus nombreux, essayent de réagir à leur niveau. De plus en plus d’Européens rejettent le sacré dans l’athéisme ou le satanisme, car ils ne connaissent que les formes de spiritualité issues du monothéisme, et ils ressentent confusément et intuitivement le désaccord profond et irréductible entre le monothéisme et les aspirations païennes naturelles de chacun.

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Remarque d’ordre général

Les Druides antiques se refusant à tout dogmatisme, il ne saurait donc être question pour les groupes païens actuels se rattachant à la tradition druidique d’établir une liste des groupes ''sérieux''. D’autant plus que le milieu druidique est très fluctuant, les associations naissent, disparaissent, évoluent, se divisent ... C’est pourquoi aucun nom n’a été cité dans cet article. Nous invitons chacun à consulter les publications disponibles (ainsi que des livres comme celui de Michel Raoult) et de faire preuve de discernement et de réflexion (notamment concernant les accusations de la presse à scandale).

 

Notes

1- A voire le lynchage médiatique dont sont victimes ces dernières années la plupart des groupes de tradition païenne, on ne peut que se féliciter de la présence d’un état de droit, laïc et républicain. Mieux vaut en effet, une campagne de rumeurs calomnieuses tempérée par un état de droit, qu’une véritable chasse aux sorcières ou la religion dominante fait la loi...

2- Idéologies impérialistes et hégémoniques, que ce soit sur le plan spirituel avec le monothéisme, ou sur le plan matériel avec le fascisme (descendant de l’impérialisme romain) et ses avatars modernes.

 

Bibliographie

- Les Celtes et les Gallo-Romains de J. J. Hatt, éditions Nagel.

- Les Dieux de la Gaule de P. M. Duval, édition Payot.

- Les Druides et les Textes mythologiques irlandais de C. J. Guyonvarc’h.

- Les Druides, les sociétés initiatiques celtiques contemporaines de M. Raoult, éditions du Rocher.

- Le rameau d’or de M. Frazer, édition Bouquins.

-  Les religions celtiques de M. Brunaux aux éditions Errance.

- Revue Archéologia, articles de J. J. Hatt.



18/12/2014
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